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Le Chaos fécond

mercredi 27 octobre 2010, par Elisabeth

Le conflit sur les retraites est en train de déboucher sur un choix de société.

Plus il dure, plus les gens se posent des questions essentielles et face à la fermeté du gouvernement, ils sont obligés de grandir. Ils vont plus loin dans l’action, dans l’organisation de la résistance, dans la solidarité mais aussi dans la réflexion et la prise de conscience de l’ensemble des rouages du système, au delà de la simple réforme des retraites.

Cette prise de conscience pourrait débouche sur une transformation en profondeur de la société par un changement de paradigme.

La récente crise financière a révélé les contradictions et l’impasse du libéralisme et du capitalisme financier. L’absence de régulation va lui permettre d’aller jusqu’au bout de sa logique, qui n’est autre qu’une fuite en avant suicidaire, ce qui va provoquer une certaine forme de chaos et précipiter la fin d’un système, tout en permettant l’émergence d’un autre.

Tant qu’on avait à faire à un capitalisme à l’échelle des nations avec des dirigeants paternalistes, qui mettaient en place des mécanismes de régulation, le système pouvait faire illusion. La plupart des salariés restaient au stade enfants obéissants et soumis. D’autant que le progrès technique avait amené une élévation générale du niveau de vie et que le système qui prétendait incarner le socialisme et l’alternative au capitalisme avait depuis longtemps sombré dans le totalitarisme. Puis avec l’effondrement du bloc de l’Est, tout s’est emballé. Le capitalisme triomphait enfin. Plus d’entrave à son plein développement.

Aussi, aujourd’hui, il donne toute la mesure de son inhumanité et de son incohérence dans l’arrogance la plus totale. Mais les gens ne sont plus dupes. Ils voient bien qu’il n’y a plus d’avenir dans ce système car la seule perspective qu’il offre, c’est l’asphyxie et la mort.
Et puis, en même temps que cet emballement du système, il y a, en contrepoint, plein d’expériences nouvelles qui ont démarrées comme les SEL (Système d’Echange Local), les AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne), les SCOP (Société Coopérative Ouvrière de Production), le développement du secteur associatif qui permettent à de plus en plus de personnes d’apprendre à échanger, partager, travailler, consommer autrement, sur une base plus locale, plus responsable et plus autonome, à travers des petites structures décentralisées et diversifiées, à échelle humaine, de voyager à peu de frais à travers des réseaux d’accueil à domicile, et d’exprimer leur créativité dans des activités artistiques et culturelles. Internet est un outil précieux car il permet de développer, structurer, organiser et fédérer plus facilement et plus rapidement toutes ces initiatives. Et surtout il permet d’échanger et d’informer sur tous ces nouveaux possibles et d’ouvrir des perspectives, autrement plus enrichissantes et épanouissantes que le métro, boulot, dodo ou le slogan de 68 : « perdre sa vie à la gagner », dans lequel nous enferme le système actuel. Parmi les expérimentations nouvelles, il y a également la création de monnaies locales, non thésaurisables, pour relancer les échanges locaux, en évitant la spéculation.
Mais une transformation profonde et durable de la société vers un système solidaire, durable et respectueux de l’environnement, dans lequel les individus pourront s’épanouir, demande une réorientation de nombreux secteurs d’activité, notamment celui de l’énergie, qui entraînera de nombreux reclassements. Mais les emplois perdus dans l’industrie seront largement compensés dans d’autres secteurs émergents, si on libère la créativité et les initiatives locales.

Avec les énergies renouvelables bien sur mais aussi dans le secteur agricole, qui est actuellement totalement sinistré car il a été industrialisé pendant les 60 dernières années, ce qui est une aberration totale, vu qu’il travaille sur un milieu vivant. En conséquence, les sols s’appauvrissent de plus en plus et l’agriculture est totalement dépendante du pétrole alors qu’il y a 60 ans elle était autonome, au niveau énergétique. Le nombre d’actifs agricoles a été divisé par dix pendant cette période. Une refonte profonde de l’agriculture, qui redéfinit notre rapport à la nature et aux autres espèces vivantes est absolument indispensable et urgente à mettre en œuvre. Elle débouchera rapidement sur la création de nombreux emplois utiles pour la production d’une nourriture diversifiée et de qualité. Le mouvement des AMAP s’inscrit dans cette logique. Certains essaient de relancer la traction animale dans l’activité agricole.
Il y a donc des signes encourageants et des précurseurs en action, des hommes semences, comme disait Rudhyar, même s’ils sont encore minoritaires.

Au cœur du chaos, les lignes de force d’une nouvelle société plus solidaire, plus écologique et plus conviviale commencent à apparaître clairement. On ne peut pas la définir précisément car elle sera façonnée par la créativité et les idées de chacun, mises en commun. Personnellement, je préfère proposer quelques mots clés pour l’appréhender : autonomie, responsabilité, engagement, créativité, initiative, solidarité, diversité, localité, globalité, épanouissement personnel, convivialité, ... Mais pour qu’elle émerge véritablement et durablement, il va falloir traverser le chaos provoqué par l’ancienne, comme une épreuve initiatique, comme un accouchement. Passer à une autre étape. Celle de la sobriété heureuse, dont parle Rabhi.

Alors Révolution ou Evolution ?

Une changement profond de société ne peut se faire sans une révolution des mentalités et des comportements et une réorganisation économique, politique et sociale. Evolution est contenu dans révolution. L’évolution est intérieure et individuelle et la révolution se vit collectivement à l’extérieur. Or, aujourd’hui, avec la psychologie et la connaissance de la nature humaine et des étapes de maturation d’un individu, beaucoup de gens ont travaillé sur eux et atteint un certain niveau de maturité et de conscience. Ce ne sont pas forcément les gens les plus célèbres : dirigeants, journalistes, vedettes, sportifs de haut niveau qui sont le plus évolués. Ces derniers sont souvent restés à un stade narcissique et sont dépendants d’une oralité insatiable, d’accaparement du pouvoir et des richesses.

Pour qu’une société bascule, il n’est pas nécessaire de rassembler 51% des électeurs comme pour une alternance politique, gauche/droite, qui ne change pas fondamentalement les choses. Il suffit d’une minorité conséquente (10, 15 ou 20% ?), déterminée, cohérente, en phase avec ses idées et ses discours, qui présente une alternative claire, vraiment novatrice, qui met l’Humain et le respect de la Vie au cœur du système et redonne l’espérance en l’avenir.

Et si les conditions étaient remplies, maintenant ?

Jean-Pierre Grenier